Michel Thomas Penette

Né à Paris en 1946, Michel Thomas-Penette, biologiste de formation et ancien directeur de l’Institut européen des Itinéraires culturels, a toujours manifesté un grand intérêt pour la création artistique et l’écriture. Il a rassemblé tout cela en une seule passion, mettant en œuvre un programme lancé par le Conseil de l’Europe il y a 26 ans. Les itinéraires culturels européens regroupent 24 grands thèmes de coopération européenne, dans les cultures artistiques, scientifiques et techniques. Du ver à soie aux parcs et jardins… la biologie se marie ainsi à l’architecture romane et à l’itinéraire du livre… Michel Thomas-Penette est aujourd'hui Délégué Général du Réseau des Villes Thermales Historiques EHTTA.

Date Ville Interventions Résumé Média
2014-10-17 Acqui Terme Michel Thomas-Penette - Introduction

Je suis heureux d’ouvrir ce septième Café de l’Europe dans le cadre historique d’une salle qui jouxte un véritable Café dont le Style Liberty rappelle les heures fastes où les personnalités que j’imagine vêtus d’élégants costumes de lin et de robes à la dernière mode des cours d’Europe, prolongent l’heure du repas dans une atmosphère de discussions diplomatiques dont les grandes questions politiques ne troublent pas la nonchalance et la nostalgie des heures heureuses. 

Une atmosphère où les conflits en cours ne bloquaient pas forcément les frontières aux voyageurs mystérieux, aux diplomates anxieux, aux dandys virevoltants, ou aux historiens épuisés par leurs recherches, tous venus chercher dans le Grand Hôtel des Thermes un repos et une cure pour écrire ensemble les épisodes d’une histoire à la recherche d’une paix retrouvée : celle du corps et celle des hommes.

Nous sommes donc réunis dans un Café et nous savons tous combien nous apprécions le café italien : court, parfumé, long en bouche. Mais dans cette salle qui réunit les organisateurs des sept autres Cafés de l’Europe, nous pourrions aussi évoquer le café de Spa accompagné de spéculos, celui de Baden-Baden où le plaisir n’est complet qu’en y ajoutant de la crème un peu épaisse, ou bien encore la liqueur café d’Ourense propice à la convivialité des heures tardives et très certainement le thé du milieu de l’après-midi qui nous attend à Bath, accompagné de quelques muffins. Et je n’oublie pas pour autant le café turc  qui nous sera servi à Bursa à la fin de l’année prochaine.

Autant de « manières de table ». Autant de formes de convivialité propres à chacun des pays qui composent le kaléidoscope d’EHTTA.

Mais nous nous retrouvons aujourd’hui dans l’idée d’examiner ensemble comment l’histoire de l’Europe a construit nos villes, en a constitué la substance humaine et intellectuelle, parfois malgré elles et parfois contre elles quand l’Europe était entraînée dans le tourbillon des conflits. 

Ce rassemblement est riche par lui-même d’une diversité d’histoires et de personnages, d’architectures et de lieux d’accueil qui ont tissé l’histoire commune de l’Europe, qui nous ont constitué comme des Européens, responsables d’un héritage, d’un patrimoine et d’une culture.

S’engager à relire ensemble cette histoire et à en raconter les histoires comme si des personnages amis, juste un peu oubliés, revenaient nous visiter aujourd’hui, constitue un défi et surtout un engagement de tous ceux qui tracent la route d’un siècle à l’autre, d’un regard émerveillé à un autre.

Erik Orsena décrivait en peu de mots dans « Villes d’eaux » cette surprenante constance de l’atmosphère des villes thermales dont nous avons la charge et le devoir d’assurer ensemble la continuité moderne : « Les villes d’eaux sont fécondes et alimentent tous les mythes et toutes les interprétations. A l’heure des cocktails, quand on s’habille pour les soirs, qu’on passe sur son visage les dernières couches de couleur, quand le crépuscule tombe, c’est l’instant des histoires chuchotées à mi-voix, des mystères contés dans la pénombre. Valery Larbaud dit l’ennui des jeunes filles immobiles, comme paralytiques de leurs propres émois. Milan Kundera y fait danser les dernières valses, celles de tous les adieux. Katherine Mansfield y reconnaît la longueur des jours et y mesure les règles d’une société, l’ordre d’une Allemagne. On se raconte les aventures de Rousseau à Enghien, quand une société de dames tenait salon au bord du lac, ou celle de Lamartine à Aix. »

Nous sommes un rassemblement et donc un espace de partage. Et cette histoire doit continuer grâce à nous !

Merci à tous d’y contribuer !

2014-10-17 Acqui Terme Michel Thomas Penette - Conclusion

Je débutais cette réunion en parlant de lieux d’exception, de lieux de dialogue, de lieux vivants dont nous prolongeons la vie. 

Nous venons de terminer en écoutant les magnifiques écritures...j’ai failli dire les « voix » de deux écrivains européens – Cesare Pavese et Jean Giono - liés par leurs origines et par leur vie à la Région du Piémont et pour lesquels le voyage immobile a constitué un moyen étonnant pour transformer l’ancrage territorial en un sentiment d’universel.

Voyager ce n’est donc pas forcément parcourir, se déplacer physiquement, c’est aussi rêver et retrouver des mythes universels qui ont permis à Homère de raconter - en mentant - les voyages d’Ulysse et à Jules Verne de parcourir les Carpates, de s’enfoncer au plus profond des mers, de prendre un ballon pour découvrir de haut des terres lointaines, de voyager dans l’espace, tout cela sans quitter sa chambre d’écriture. 

Jean Giono racontait sur une radio nationale française dans les années soixante que sa conception du roman était celle de la prolongation du rôle et de la place du conteur itinérant. Homère prolongeait lui-même par son écriture le travail de tous les rhapsodes allant de cité en cité pour broder indéfiniment la trame d’un voyage qui s’enrichissait des réactions des publics qu’ils rencontraient. Mais Jean Giono ajoutait perfidement que si André Gide avait dû gagner sa vie enlisant ses propres textes sur la place des villages, il serait mort de faim ! Conter, ce n’est pas simplement écrire, c’est entrer en osmose avec le public et ouvrir une porte à sa participation directe.

Conter, c’est aussi mentir vrai. On dit encore que  « L’écrivain est du côté du non savoir, ce qui ne l’empêche pas pour autant de faire œuvre de pédagogue. » On pourrait ajouter que l’imagination, comme la sociologie ou l’histoire - au sens de Pierre Bourdieu ou de Fernand Braudel - est « un sport de combat ». Et nous avons pu aujourd’hui écouter des historiens qui nous ont permis, en évoquant les pratiques religieuses de l’antiquité jusqu’à celles, hédonistes, de la postmodernité des loisirs, d’apprendre à raconter, à interpréter et à dialoguer au-delà des frontières.  

Chercheurs d’un côté, écrivains de l’autre, ils nous ont tous pris par la main pour nous permettre de relire, de tous nos sens, ces cités idéales, parfois même ces décors de cinéma qu’évoque magnifiquement Bernard Toulier en 1994 : « Ces lieux de villégiature sont aujourd’hui des villes à forte identité patrimoniale. Elles sont conçues comme des cités idéales pour réparer les méfaits de la ville industrielle, guérir le corps malade et lui donner les bienfaits du confort et du bien-être. » 

Et il ajoute : « Cet héritage est un gage de leur modernité et sa transmission leur seule chance de survie. »

Merci à tous de votre présence et rendez-vous à Bath, dans une autre de ces cités idéales.